Y a-t-il quelque chose de pourri dans le royaume de
France ?
Telle
est, en substance, la question que posent et à laquelle tentent de répondre les
pages qui suivent. A partir du constat posé par la retentissante émeute du
faubourg Saint-Antoine contre Réveillon, qui fait écho à celles qui ont éclaté
partout dans le royaume depuis le début de l’année, on peut supposer que
celui-ci connaît effectivement de sérieuses difficultés. Une fois posée, cette
affirmation doit être étayée, ce qui ne posera pas de problème tant sont
nombreux les signes qui la rendent crédible, et ce depuis déjà de nombreuses
années.
Tout
d’abord, il est clair que le système fiscal ne permet plus au royaume d’assurer
sa survie financière. Il est profondément inégalitaire : le Tiers-Etat y
laisse environ 50 % de ses revenus annuels – sans compter la ponction due aux
impôts indirects – là où la noblesse et le clergé n’en paient pas ou presque
pas, par exemption ou par arrangement. Par conséquent, en temps de crise, si
les revenus du Tiers-Etat baissent et si on ne va pas chercher ailleurs le
manque à gagner, les impôts rentrent mal et les dépenses ne sont plus
couvertes. Voilà la situation des finances puisque les dépenses, elles, ne
diminuent pas, notamment celles dues aux largesses royales et au train de vie
de la cour, le tout s’élevant à plusieurs dizaines de millions de livres par
an. « Les nobles sont-ils des
parasites ? » demande l’un des articles qui suivent…
Ce
système fiscal qui ne suit plus, le train de vie outrageusement luxueux de la
famille royale et de la cour amènent à se demander si le royaume est encore
dirigé efficacement. Depuis 1774, Louis xvi
s’est toujours voulu réformateur. Mais il s’est constamment révélé trop faible
face aux parlements, ainsi qu’à son entourage – politique ou particulier.
Depuis leur remise en place en 1776, les parlements n’ont cessé de s’opposer
aux édits royaux, prenant des accents démocrates. Or depuis que celui de Paris
s’est prononcé en septembre 88 sur les Etats Généraux, leur véritable motivation
– limiter le pouvoir royal à leur profit – a été mise à nu. Ils sont désormais
discrédités aux yeux des patriotes et du Tiers-Etat. Au sommet, le Roi est
déchiré entre les princes qui s’alarment de la montée des prétentions
démocratiques, et Necker qui le pousse à faire des concessions au Tiers-Etat.
La décision du 27 décembre d’accorder le doublement du Tiers en laissant le
vote par tête en suspens révèle la paralysie du pouvoir royal. La volte-face
des parlementaires révèle que, loin de favoriser le progrès, ils le bloqueront,
et que si ce dernier doit s’accomplir, ce sera sans eux. De fait ils ont, par
cet acte, déclaré la guerre aux patriotes et au peuple qui les avaient jusque
là soutenus. Avec un pouvoir royal paralysé et des parlements hostiles à toute
idée de réforme, alors non, le royaume n’est plus dirigé efficacement.
Dans
cette situation, que pourront les Etats Généraux pour la remise à flot du
royaume ? Ils font bel et bien la part belle au mouvement patriote avec le
doublement du Tiers, ou encore – par la volonté de Necker – une meilleure
représentation pour les curés patriotes. Ils n’auront cependant que peu
d’efficacité pour les réformes profondes dont le royaume a besoin si le vote
par ordre est conservé. Ce vers quoi on semble se diriger, même si la porte
n’est pas fermée… On peut de plus légitimement se demander si les aspirations
populaires (ouvriers, artisans, paysans…) y auront un écho tant sont nombreux
les filtres : fusions des cahiers de base en un cahier de bailliage ;
scrutin à plusieurs degrés pour les députés du Tiers-Etat, qui n’enverra que
les plus aisés à Versailles.
Il
y a bel et bien quelque chose de pourri dans le royaume de France :
l’organisation administrative, sociale, fiscale, et du pouvoir. Les cahiers de
doléances en sont révélateurs, tant du côté des privilégiés jaloux de leurs
prérogatives, que de celui du Tiers-Etat qui réclame égalité devant la justice
et l’administration, mais aussi l’égalité civile et fiscale. C’est l’échec des
réformes et les impasses politiques et sociales en découlant qui constituent le
fondement de ces cahiers.
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