jeudi 27 décembre 2012

La Révolution française, épisode 7


L’abolition des privilèges ?

Les députés de la noblesse à l’Assemblée constituante ont été mus par un grand élan, quasi-universel, vers le changement lors de la séance du 4 août, appelée semble-t-il à une grande postérité. Nombreux ont été les députés de la noblesse à se succéder à la tribune de l’Assemblée pour surenchérir dans l’auto-dépouillement des privilèges de leur condition. Sous l’impulsion de Messieurs de Noailles d’Aiguillon, nobles libéraux, les appels à l’abolition du servage, des corvées de toutes sortes, des droits féodaux, des justices seigneuriales, à l’égalité devant l’impôt, se sont multipliés sous les applaudissements enthousiastes du public. La séance se terminant par des larmes de joie et des embrassades. Présenté ainsi, tout cela est bien joli. Mais que se cache-t-il derrière ce formidable élan de spontanéité et d’unité ? Est-ce pure magnanimité et adhésion aux idéaux des Lumières de la part des députés de la noblesse, qui ont entraîné dans ceux du clergé ? Ce serait trop beau !
Premièrement, comme nous le dit M. Marat, il aura tout de même fallu attendre que ces messieurs vissent leurs possessions menacées par la jacquerie qui sévit de toute part depuis fin-juillet, les appels au calme de Sa Majesté n’y changeant rien, pour se sentir obligés de renoncer à leurs attributs féodaux. Ont-ils effectivement attendu de n’avoir plus du tout le choix pour se résoudre au sacrifice ?
Deuxièmement, il pourrait y avoir des motivations toutes politiques derrière tous ces beaux sentiments. Encore une fois, l’affolement des ordres dominants du royaume – Tiers Etat bourgeois compris – face au déchaînement paysan, la peur de voir la monarchie emportée et la démocratie selon Montesquieu s’installer ne sont-ils pas pour beaucoup dans cet élan de générosité ? Conserver la Monarchie, et la place de commandement dans la société qui en découle pour les privilégiés, valait sans doute bien la peine de faire quelques sacrifices et de laisser une part du gâteau aux représentants les plus puissants de la bourgeoisie par la suppression de la vénalité des charges…
Troisièmement, toute la noblesse ne semble pas en phase avec l’élan de magnanimité de ses députés à la Constituante. C’est le pessimisme qui domine, voire la peur face aux soi-disant hordes de brigands et aux débordements qu’a connu Paris fin-juillet. C’est aussi l’incompréhension suite aux nouvelles de la séance du 4 août. Une partie de l’aristocratie y est même carrément opposée. Une manifestation flagrante en est l’émigration d’un certain nombre de ses représentants, jusque dans la famille royale. Et il y a fort à craindre qu’ils ne restent pas inactifs de l’étranger devant tous ces intolérables progrès…
Et c’est ce qui amène à la quatrième raison. Suite à toutes ces décisions irrévocables, le législateur a dû faire en sorte que la pilule ne soit pas trop dure à avaler. C’est là, une autre cause de méfiance pour M. Marat. Les décrets adoptés les jours suivants ont fortement atténué les grandes décisions actées dans l’ivresse de la séance du 4 août. Le processus a abouti, le 11 août, à un décret très général abolissant la féodalité, c’est-à-dire proclamant l’égalité civile et fiscale et supprimant la vénalité des charges et les privilèges. Un décret en contradiction, sur ce dernier point, avec ceux des jours précédents, puisque ces derniers ne supprimaient sans indemnité que le servage, le droit de chasse et la justice seigneuriale. Tous les autres droits seigneuriaux ont effectivement été déclarés rachetables. A défaut, il faudra continuer à les payer. En quelle proportion le monde paysan a-t-il les moyens de racheter ces droits ?
Alors ce monde politique en formation a-t-il, comme le pense M. Marat, passé un marché de dupe au dépend du peuple. Une partie pour garder le pouvoir quelle détient ? Une autre partie pour acquérir le pouvoir qu’elle pense mériter ? Tout en présentant les choses de façon à calmer la fureur populaire et à la détourner de ce qui se passe vraiment ?
Toujours est-il que, malgré le formidable élan initié la nuit du 4 août, les résultats ne sont certainement pas à la hauteur des attentes populaires – paysannes notamment – et que les droits seigneuriaux ont encore de beaux jours devant eux…






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